Vous rentrez tranquillement chez vous après une longue journée de travail et découvrez dans votre boîte aux lettres une enveloppe avec la mention PRO JUSTITIA. Vous ouvrez frénétiquement pensant à une contravention mais trouvez une convocation pour le tribunal correctionnel où vous êtes accusé d'extorsion avec violences et menaces, fraudes, malversations, exercice illégale de professions, violation de secrets. Pour couronner le tout, la convocation vous prétend introuvable, sans adresse connue, alors que vous avez toujours habité à la même adresse, et que vous avez été signalé en Ukraine au front. Vous pensez de suite à un canular, un malentendu, une erreur sur la personne ou sur l'identité. Mais le convocation est signée par le Procureur du Roi avec date à comparaître. Vous risquez 10 ans de taule.
Après le choc initial et l'incompréhension, pendant que le ciel vous tombe sur la tête, vous réfléchissez et ne trouvez pas. Puis, vous vous souvenez d'une affaire civile d'il y a plus de 10 ans dans laquelle vous réclamiez paiement d'une créance qui vous était due, mais que vous n'avez jamais pu encaisser parce que le débiteur a frauduleusement organisé son insolvabilité et a disparu en Afrique du Sud. Vous avez peut-être oublié, ou essayé d'oublier cette malheureuse affaire qui vous avait déjà coûté beaucoup d'argent, de votre temps et soucis à l'époque, mais quelqu'un ne vous a pas oublié. Le débiteur revient sonner à votre porte et s'est constitué partie civile, se disant votre victime et vous réclamant beaucoup d'argent.
Le débiteur a retourné la situation, faisant de vous le poursuivi, l'accusé, le présumé coupable, le criminel en puissance, le débiteur insolvable. La justice n'est qu'affaire d'étiquettes et de paraître. Votre ancien débiteur en déposant une plainte pénale avec constitution de partie civile, a obtenu le statut de « victime » et veut vous racketter de l'argent dans une extorsion inverse, utilisant la menace, la pression de sa plainte pénale pour vous extorquer de l'argent, l'argent qu'il vous devait, et qu'il compte récupérer une deuxième fois à votre compte et à vos dépens. Parce qu'il est victime, vous êtes présumé coupable, la machine judiciaire est en marche et ne peut plus être arrêtée : juges d'instructions, enquêteurs, procureurs, policiers, tribunal correctionnel, un manège digne des plus grandes affaires criminelles.
Ce récit montre qu'à l'heure d'internet tout le monde peut-être accusé, faire l'objet de dénonciations, mensonges circulant sur internent, devenant le coupable idéal. L'affaire s'emballe, vos employeurs, vos amis, connaissances, relations professionnelles sont d'abord émus puis vous suspectent à votre tour, sous le poids des rumeurs, votre présomption de culpabilité s’alourdit, parce qu'il n'y a pas de fumée sans flammes. Vous vous faites licencier suite aux rumeurs, vous ne trouvez plus d'emploi, évincé par diverses organisations, vos licences professionnelles sont révoquées, retirées ou non-renouvelées, tout cela alors que vous devriez être présumé innocent, que vous n'avez jamais été condamné de votre vie pour rien du tout. Au fil du temps, votre présomption de culpabilité s'est transformée en une véritable culpabilité. Quelque part, au bord de sa piscine, à l'abri de votre vengeance, votre débiteur de jadis, s'amuse et rigole, vous voyant sombrer dans le scénario qu'il a inventé de toutes pièces.