Le haras des Deux Tours était planté tel un îlot au milieu de l'océan. Nous avions repéré le donjon depuis la grand-route à des kilomètres. Il dominait toute la région avec son pavillon étoilé flottant fièrement au dessus des prés. Ma belle conduisait sa grosse berline de commerciale et je jouais tant bien que mal au copilote, alors qu'elle disposait d'un GPS dernier cri. Il faut dire que nous aimions nous perdre sur les départementales tortueuses. Cela nous changeait du périphérique et de ses embouteillages cul à cul en accordéon. Bien qu'elle n'ait pas toujours respecté les limitations de vitesse, nous avions largement dépassé toutes les estimations des sites web de calcul d'itinéraires et nous approchions dangereusement de l'heure limite d'arrivée fixée par la châtelaine. Elle nous attendait sur le perron pour nous remettre les clés de la tour et de notre chambre médiévale, nous présenter notre femme de chambre attitrée, nous donner les instructions pour l'usage et l'entretien de la piscine en pierre grise. Les palefreniers s'occuperaient des chevaux. En passant le pont-levis, nous avions plus l'impression de nous retrouver à Camelot qu'en Bretagne. Le granit gris profond était partout, en blocs massifs, des douves pleines d'une eau trouble, aux dalles de la piscine chauffée, aux marches érodées de l'escalier en colimaçon menant au tour de garde, au sommet du donjon. D'ailleurs, en dépit du nom du lieu, il n'y avait qu'une tour.