Je pris une gorgée de bière tiède les yeux rivés sur ma soeur et Odette. En bikini toutes les deux, debout sur le quai en plein soleil, elles étaient en train d’enduire leurs corps superbes d’adolescente d’huile solaire. Moi et Carl avions installés nos chaises de camping à l’ombre d’un grand sapin devant le chalet de ses parents en espérant y trouver un peu de fraîcheur mais c’était peine perdue. Ce que je buvais semblait ressortir illico par tous les pores de ma peau comme si je sortais d’une séance d’acupuncture.
Les parents de Carl nous avaient donné la permission de squatter leur chalet pour une longue fin de semaine de trois jours à condition de ne pas y mette pas le feu et surtout, de ne pas déranger les voisins.
Carl était un athlète, fou de voitures et blond, cool et extraverti, le genre de gars qui plaisait à presque toutes les filles. Moi, j’étais tout le contraire, un grand paquet d’os timide et complexé, rat de bibliothèque qui détestait les bagnoles et pourtant, il m’avait adopté comme meilleur ami. Une amitié improbable, mais qui fonctionnait car il y avait quelque chose qui nous unissait, quelque chose de secret, d’unique dans notre cercle d’amis. Quelque chose que l’on gardait jalousement pour nous deux.
Lui et moi étions bédéistes amateurs, juste comme ça, pour nous, du moins, pour l’instant. Carl avait un talent fou pour le dessin, moi aussi, mais vraiment pas pour la bd. Grand lecteur, j’écrivais donc les scénarios et les dialogues et lui illustrait ça à merveille et c’était foutrement cochon. On se défoulait et pas à peu près, en s’inspirant de bd érotiques italienne ou Française que je lui avaient fait découvrir. Mais parfois il arrivait avec des planches déjà faites et je complétais alors l’histoire en rajoutant des « ah oui ! C’est bon ! Oh non, monsieur, ne me la mettez pas dans le petit trou ! » etc. Des BD loufoques, pleines d’humour, à travers lesquelles nous réalisions nos fantasmes les plus fous.
Présentement, on travaillait sur l’une des ces histoires justement ou un jeune de 18 ans se tapait la mère de son meilleur ami. Et comme pour tous les bédéistes, son personnage lui ressemblait et pour cette histoire, il avait pris ma mère comme modèle… Ça, je pouvais le comprendre. Ma mère était magnifique, une jolie petite blonde aux yeux bleus, encore mince pour son âge avec des seins menus et qui faisait saliver mes amis, surtout quand elle se faisait bronzer en maillot. Pour la BD il lui avait grossi la poitrine et changé un peu ses traits, évidemment. Tout de même, cela me faisait un drôle d’effet de travailler sur les planches et de remplir les bulles, mais je savais que Carl fantasmait sur ma mère tout comme moi je fantasmais sur celle de notre ami Jean. On avait expédié des planches à des maisons d’édition européenne pour bien montrer ce qu’on était capable de faire sous des pseudonymes et on attendait une réponse avec fébrilité. Ce rêve nous unissait, être publié, devenir des bédéistes et qui sait… peut-être créer notre propre héros un jour et devenir célèbre ! Mais pas question de faire publier celle sur laquelle on travaillait présentement. Seigneur non ! Si jamais ma mère tombait là-dessus par hasard et se reconnaissait, j’étais mort. Elle qui détestait Carl en plus et qui en faisait quasiment des ulcères du fait que ma soeur sorte avec lui. Elle le tuerait aussi et plutôt deux fois qu’une.
Le ciel était d’un bleu limpide, sans nuages et le soleil, haut dans le ciel se reflétait sur le lac calme et paisible en ce début de matinée, nous forçant à plisser les yeux. Il n’y avait pas le moindre souffle de vent, pas de moustique et, même s’il n’était que 10 h du matin, la chaleur moite était déjà étouffante. Bref, le paradis, surtout avec ce qu’on avait sous les yeux.