Darbois détaille l'homme : grande taille, élancé, vêtu d'un jean et d'un pull en laine, blanc immaculé. Il semble jeune, et en même temps très âgé, très sage. Ça se voit dans son allure, dans son visage. Ses cheveux intensément noirs, longs, attachés en queue de cheval lui tombent jusqu'aux reins, et ses yeux sont du bleu le plus profond qu'on ait jamais vu, un bleu extrait du cœur d'un glacier polaire.
Darbois cesse de le dévisager avant que l'homme ne le remarque, mais il vient droit vers lui et, avec un léger sourire, tire une chaise et s'assoit juste en face. Darbois lui décoche immédiatement sa spécialité pour éconduire les importuns : un coup d’œil franc et sec signifiant très clairement : « casse-toi de là ».
L'homme paraît s'en moquer et soutient sans difficulté le regard. Il sourit à nouveau.
– Bonjour Richard, comment vas-tu ?
Et devant le mutisme de Darbois, l'homme s'enfonce dans sa chaise, soupire comme s'il s'y attendait et récite alors :
– Richard Darbois, né le 12 décembre à Lyon, de Pierre Darbois et Christelle Alasia. Trois kilos neuf cents à la naissance. Groupe O. Rhésus positif. Scolarité très correcte jusqu'au lycée, ancien militaire de carrière, pratique la profession de tueur à gages sous couvert d'une activité de sous-directeur d'une petite société d'import-export.
Puis il se penche en avant et ajoute, avec un clin d’œil :
– Ni flic, ni rival.
Darbois fait durcir son regard, le fait passer du niveau « casse-toi de là » à celui de « tu vas avoir des problèmes ». Et avec des gens comme Darbois, ce genre de menace n'est jamais vain.
– Je vous connais ? demande-t-il, bien qu'il sache déjà la réponse.
– Non. Je m'appelle Neldehel.
Sous la table, Darbois a glissé la main dans sa poche, où il garde toujours un stylo en métal, utilisable en poinçon. De l'autre main, il a pris son verre de bière comme pour boire, mais c'est afin de le briser sur la table et s'armer du tesson. Reste encore le cendrier de céramique, bien assez lourd pour fracturer un crâne. Voilà trois possibilités pour s'occuper du bonhomme, et même à mains nues, Darbois a largement de quoi voir venir. Bien qu'il n'en laisse rien paraître, à l'intérieur de sa tête tous les voyants d'alerte sont au rouge : qui est ce type et comment sait-il la vérité sur l'Ange du Châtiment, un secret peut-être mieux gardé qu'un scandale présidentiel ?
– Qu'est ce que vous voulez ?
– Te parler Richard. Simplement te parler.
Il y a quelque chose chez ce... Neldehel. Il inspire confiance, une sensation de gentillesse qui irradie. Depuis la mort de Lisa, Neldehel est la première personne à venir vers lui, la première à lui adresser la parole, à voir que Darbois existe encore. Pourtant, Darbois ne relâche pas son attention. Prendre un air amical est à la portée du premier comédien venu, et il en sait trop pour être honnête.
– Je veux te parler de ta femme, reprend l'homme en blanc.
Cette fois, la menace du regard est sans équivoque : « tu vas mourir ». Les choses ont pris une tournure incontrôlable en quelques secondes et Darbois déteste ça. Un court instant, d'instinct, il a voulu demander « qu'est ce qu'elle a ? Où est-elle ? » mais il s'est obligé à se taire. Une question stupide. Lisa est morte, que pourrait-il bien lui arriver ?
Elle l'a quitté depuis un an.
Elle est morte depuis six mois.
Elle l'appelle maintenant au secours...
Impossible ? Peu importe, il faut la délivrer d'une ville hantée où des cauchemars rôdent dans les coins d'ombres, composer avec des survivants improbables, au mieux mystérieux, au pire hostiles.
Mais Richard Darbois est un adversaire coriace : dans un milieu où la vie d'hommes se négocie entre 5 et 20 000 euros, il est connu comme l'Ange du Châtiment, le plus redouté des prédateurs de la nuit.
Déjà paru aux éditions Syllabaires en 2013, aujourd'hui en édition enrichie.
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