J’avais réussi à gommer mon accent. Complètement !
Emporter de chez soi son accent, c'est emporter un peu de terre à ses souliers ! Moi je voulais avoir des semelles propres et pas de cet invisible passeport. Quand je pense au parler caricatural de tante Suzy à la Marthe Villalonga : « aie que tu as grandi, aie que c'est beau ça ! » Parfois j’en étais à chercher le son d’un mot ou d’une syllabe à la mode de Paris et j’entendais aussitôt cette remarque : « je n'arrive pas à distinguer l'accent que vous avez ; il chante comme dans le midi, mais ce n'est pas exactement le même. Peut-être du côté du Languedoc… » Il m’arrivait de céder à la facilité et je disais : « oui, par là-bas ». C’était faux, c’est du côté d’Oran ! Mais cela restait entre moi et moi.
J’ai perdu mon accent, non par usure, mais par volonté ; il a été lissé, policé, effacé, pour se fondre dans la masse, ne plus se faire remarquer, oublier ce que nous étions, oublier la douleur de la déchirure, oublier le chagrin, oublier notre vie de là-bas.
Cette courte histoire relate deux mois de la vie de deux adolescents Pieds Noirs au cours de l’été 1962. Deux va-nu-pieds aux orteils sales et à la couleur de peau indécise : celle de la terre qui colle à leurs pieds ; à l’accent chantant, seul bagage qu’ils étaient libres d’emporter et que d’aucuns ont très vite abandonné.
Etait-ce histoire de l’auteur ? On ne saurait le dire ; on oublie tout en vieillissant : la mémoire s’érode, embellit, brode…
Pour ce texte entre récit et chronique, il a inventé, ré inventé au fil des pages en respectant l’Histoire dont il n’avait pas à rendre compte. Il voulait faire un acte de mémoire et raconter les meurtrissures du corps et du cœur, faire resurgir du néant et de l’oubli quelques pages à la fois sombres et lumineuses, chaotiques et structurantes de son « retour », … en aucun cas il signe un pacte de vérité.